Michel Jonasz Lille
Sa voix, sa somptueuse voix caressante et musculeuse était intacte,
mais, dans ce récital inhabituellement invertébré, Michel
Jonasz apparaissait mécanique.
Du peps, de la bouteille, mais si peu d’émotion. Le public acquis
du Nouveau Siècle n’en avait cure et montait en pâmoison.
Il avait raison de garder la ligne. De son tout récent album (intitulé Michel
Jonasz), l’artiste proposait le meilleur et redéployait ses
ailes. Il chantait la nouvelle donne des amours du «troisième
décan», la douleur de vieillir. Sa plainte redevenait tension écorchée,
il avalait enfin le temps en dilatant l’espace. Voix de totale amplitude,
dans les palpitations multicolores des spots. Il refaisait frissonner le
silence, en parant C’est ça le blues d’abyssales fêlures
et de souffles cosmiques.
Rien n’altérera leur amour. Ils ont déjà battu
trois fois le rappel quand ils chantent, en douceur et en swing, le refrain
de Super Nana . Lui et eux se taquinent, jouent à cache-cache avec
les paroles dans une Boîte de jazz incandescente. Certains se lèvent
et ils battent tous la mesure de Joueurs de blues. Ils crient «Michel» avec
une vigueur sombre mais respectueuse, pour pas qu’il s’en aille.
Rien n’altérera notre amour. Qui a vécu tant de récitals-joyaux,
ronds et denses et bouleversants, ne pouvait, hier soir, qu’être
en partie chagrin. Mais porté par sa voix. Mais vibrant de ce qui
vibra. Mais saisi par ce rien, au bout d’une avant-dernière
chanson, ces secondes où il fredonna une forme de petit sanglot.
Christian FURLING pour la Voix du Nord