JONASZ

JONASZ

Tout pour la musique


Le plus talentueux des chanteurs français swingue hors des sentiers battus du show-biz. Il ne parle plus, il chante.


" Je n’ai plus rien à dire ; ce n’est pas un caprice, pas un calcul, : mes chansons parlent d’elles-mêmes … "

Après avoir entouré la préparation de " La fabuleuse histoire de Mister Swing ", son dernier spectacle, du plus grand mystère, Michel Jonasz déclare dans une ultime interview que désormais il ne parlera plus aux journalistes… Coup médiatique ? Besoin de solitude ? Sollicité comme jamais, il choisit la voix du silence, rejoignant ainsi Renaud, le premier à s’être mué en carpe pour ne plus avoir à répondre aux sempiternelles fadaises. Estimant ne plus avoir à défendre leur place au sein du " paysage audiovisuel " français, ils ne s’adresseront désormais au public qu’à travers spectacles et disques. De quoi flanquer des sueurs froides aux producteurs de l’hexagone si d’aventure les vedettes à leur tour de rompre avec les règles sacro-saintes qui régissent le métier …

Jonasz se paie le luxe de tout chanteur consacré : les années de succès intimistes ont fait place aux jours heureux : " La fabuleuse histoire de Mister Swing ", montée dans le plus grand secret, sans battage publicitaire, a rameuté les foules. Deux mois de concerts à guichets fermés au Théâtre de la Cigale à Paris, puis un mois de supplémentaires au Casino, toutes " sold-out " ! " Ni anciennes chansons, ni nouvelles ", disait l’affiche. Intrigué, le public demandait à voir.

Depuis 1985 et le succès formidable d’ "Unis vers l’uni ", le chanteur s’était éclipsé de la scène musicale. Histoire de faire le point sur la passion soudaine que lui vouait le public, conscient qu’on l’attendait au contour. En 1986, il tourne entre Paris et Tel-Aviv son premier film en vedette sous la direction de Frank Cassenti : l’adaptation du roman du Prix Nobel de la paix Elie Wiesel " Le Testament d’un Poète juif assassiné ". Puis se remet à écrire. Quinze chansons voient le jour, tissant la trame d’un spectacle inédit qu’aucun tube éprouvé ne vient étayer. Jonasz brise net la confortable habitude qui veut que l’on rassure les spectateurs, en leur assénant l’écoute de leurs succès préférés. " La fabuleuse histoire de Mister Swing " force ainsi à plus de deux heures de concentration et sert de prétexte au chanteur pour se raconter à travers la vie d’une star animée par la passion du swing, " qui insuffle la vie à la matière animée " : un petit clin d’œil à Ray Charles, l’idole de toujours, présent en filigrane tout au long de ses derniers albums (" La Nouvelle Vie " en 1981 avec notamment " Joueur de Blues ", " Tristesse " en 1983 et " Unis vers l’uni " en 1985). Conte initiatique, " La fabuleuse histoire de Mister Swing " raconte la quête d’un homme à la recherche de l’indicible bonheur. Heurs et malheurs, boire et déboires… le chemin passe par la nécessaire symbiose de l’être et des élément qui le voient évoluer, le respect des valeurs intrinsèques de l’homme et des religions : par-dessus tout, Jonasz exprime la nécessité de tisser des liens universels, " afin que rien ne nous sépare " …

Message à caractère philosophico-mystique, " La fabuleuse histoire de Mister Swing " trouve place dans le prolongement du tracé artistique suivi par Jonasz depuis l’enregistrement de son premier album en 1974.

Abordant tous les domaines de la création, il bouleverse plus que jamais la structure de la chanson française, plus axée aujourd’hui sur la production de chansons-clips, jetables après leur passage au top 50 … Fait révélateur, aucun titre composant le double album issu du spectacle n’y figure : " La fabuleuse histoire de Mister Swing " est un tout, indissociable.

Inclassable, Michel Jonasz touche à tous les registres musicaux : une attitude que les milieux spécialisés, particulièrement ceux du jazz, jugent inqualifiable. Mais Jonasz s’en fout : depuis 1962 et ses premiers balbutiements musicaux, rock, rhythm’n’blues, blues, jazz et ballades ne sont que des véhicules d’inspirations et non pas une fin en soi. Il surprend où on ne l’attend pas. C’est l’essentiel. On ne peut pas dire de même pour la cohorte de cloportes qui peuplent l’univers de la musique …

Jean Ellgass – pour L’Hebdo du 16 juin 1988.

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