Le retour de Michel Jonasz

La sincérité avant tout
Place à l'authenticité, proclame le chanteur français. Avant de présenter à Montreux son nouveau spectacle, qui tranche singulièrement avec les productions habituelles.
"Je n'ouvre pas le festival de Montreux, je joue juste avant, car je ne suis pas aussi jazz qu'on le dit". Michel Jonasz est comme ça: plaisantin et inclassable, avec un perpétuel besoin de surprendre.

C'est ainsi que son nouveau spectacle n'est pas un tour de chant, mais un récit musical: "La fabuleuse histoire de Mister Swing". Voilà qui est inhabituel dans la chanson française. Pourtant Jonasz refuse d'en parler, même si un disque, enregistré lors des représentations, est sorti: "Il est important que les spectateurs soient le plus innocents possible". Il nous a reçu chez lui, un samedi matin, en survêtement et pantoufles, avec la même décontraction que sur scène. Pour raconter longuement son métier, dont il a une très haute idée.

Cette attitude se fait rare dans le show-biz, comme celle de prendre des risques. "La fabuleuse histoire de Mister Swing", qui ne comprend que des chansons inédites, en est un. "Je ne l'aurais peut-être pas couru il y a dix ans. J'ai progressé avec les gens et je pense que j'ai des spectateurs intelligents. J'en ai besoin. Si je n'avais pas ce public-là, je n'aurai pas osé faire un tel spectacle. Nous avons une exigence mutuelle. C'est ce qui fait la qualité de notre échange".

Ainsi, Jonasz n'est pas un artiste qui vit sur ses acquis. Quand on lui pose cette question, lui qui jusque-là prenait son temps pour répondre, réfléchissait en se passant la main sur le visage, il réagit instantanément interloqué: "Non, je fuis ça le plus possible. C'est s'enfermer dans une prison. Refaire la même chose, de manière à peine différente, je n'en vois pas l'intérêt. Ce n'est pas l'argent qui me guide, ni l'ambition. Ce serait vraiment triste. Bien sûr, au début j'ai eu l'envie de réussir. Mais après on s'en lasse. Ce qui compte, c'est la création".

Il devient alors enthousiaste: "Ce que j'aime, c'est écrire et composer. Puis partager sur scène avec les gens". Pendant ce temps, un petit bout de chou s'est glissé dans le salon. C'est Anna, sa fille, qui demande si elle peut porter le chat pour aller chez le "détérinaire". Jonasz donne son accord et prend l'air à la fois tendre et faussement fâché de tous les pères du monde pour qu'Anna nous laisse et que l'entretien reprenne.

Dans ce métier, on a pourtant l'impression que l'argent motive certains jeunes.

Jonasz qui a bientôt vingt ans de carrière, est plus optimiste. "Je ne peux que demander de l'indulgence pour les débutants. Lorsqu'on commence, on se cherche, c'est normal de faire des choses qui ne vous ressemblent pas. Aujourd'hui, c'est encore plus difficile qu'avant: les carrières sont éphémères et la rentabilité prime. Mais ça va se calmer parce que les gens ont besoin de choses vraies. Quand on dit qu'on ne peut pas tricher avec le public, c'est une question de sincérité. Les gens le sentent".

Une haute opinion du public

Est-ce à dire qu'un fossé se creuse entre artistes "sincères" et variété commerciale ? "Les différences peuvent se situer au niveau du but qu'on poursuit à travers la chanson, et ça ne m'amuse pas de les juger. Tout ce que je sais, c'est qu'il ne faut pas faire ce métier pour l'argent. Il faut être exigeant vis-à-vis de son métier et avoir une haute opinion de son public. J'accepte mal ceux qui font ça sans se donner complètement, sans que ce soit la principale chose de leur vie. Pour moi, c'est sacré. Je sais que c'est facile de dire ça maintenant que je gagne bien ma vie. Mais l'argent ne reste qu'un moyen, une conséquence de la célébrité. Il est plaisant, parce qu'il me permet d'avoir un cadre agréable".

Effectivement, chez Michel Jonasz, on n'est dérangé que par le chant des oiseaux. Et si le salon est meublé avec goût, c'est sans ostentation, de même qu'il n'y a pas de voiture de luxe dans le jardin. "L'argent me permet de faire des voyages qui vont m'être utiles. Je vais en parler dans mes chansons. Car je m'aperçois que tout ce que je fais dans ma vie tend au même but: tout est mis dans l'écriture . Je peux avoir de plus en plus d'argent pour faire mes disques. Mais si je n'en avais pas, je les ferais avec moins de moyens et je chanterais devant 50 personnes. Mon plaisir serait le même".

 

Stéphane Rastello - pour Le Matin du 25 juin 1988

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